La tête dans les vagues

Assise à ma table, face à la mer, où le vent souffle les embruns suivant le courant, je trouve l'inspiration qui me permet, au fil des mots, de vous partager mes passions.

dimanche 19 octobre 2014

Le chêne de Picardie ou Queyne en Picard…


Cette semaine, je vous propose un texte sur un sujet proposé par une amoureuse de la nature et plus particulièrement d’un arbre que je considère moi comme le roi des forêts. Pour Raymonde Duchesne, cet arbre est le symbole de sa famille et de ses ancêtres. À sa demande, j’ai imaginé cette petite histoire…

En ce matin d’automne, je me promène avec ma bicyclette le long des chemins forestiers de l’Île d’Orléans. Un léger souffle de vent agite légèrement les feuilles des arbres qui se parent de leur robe aux couleurs automnales. Je ne perçois aucun son, même pas un seul oiseau ne chante ni ne vole de branche en branche. Je me nourris de ce silence. Je décide de faire une halte et m’adosse à un tronc, assise sur un tapis de feuilles anciennes et nouvelles. Je ferme les yeux et me laisse pénétrer par les odeurs et l’atmosphère de cette forêt.
Soudain, j’entends un murmure. Tout d’abord une voix plus forte suivie par des sons ressemblants à des gazouillis. J’ouvre les yeux et ce que je découvre me fascine…
Un immense chêne de plusieurs centaines d’années penche sa cime vers d’autres, beaucoup plus petits, des arbres en pleine maturation. Il me semble les voir dresser leurs branches, comme pour écouter le patriarche. Je me relève tout en restant discrète.

« Vous savez, les enfants, nos ancêtres ont voyagé de très loin et il y a bien longtemps.
— Comment sais-tu tout ça? demande le plus agité.
— Ce que je vais vous raconter, je l’ai entendu de mon père, qui l’a entendu de son père et ainsi de suite depuis plus de 400 ans. Écoutez-moi les petits, car à votre tour vous devrez enseigner notre histoire aux plus jeunes après vous.
Donc, voilà plus de 400 ans, exactement dans les années 1600, notre ancêtre s’implantait sur cette île en plein milieu du St-Laurent. Bien sûr, il n’était pas seul, mais nous sommes tous issus de lui. Il arrivait de Picardie en France, de l’autre côté de l’océan. Là-bas, des chênes il y en avait à profusion. Il y en a encore beaucoup aujourd’hui. Mais, dans ce temps-là, nous étions bien importants. Lorsque les bûcherons arrivaient et décidaient de couper tel arbre, c’était un honneur. Ils ne choisissaient pas n’importe lequel. Nous devions avoir un âge déjà avancé de 250 à 300 ans de vie. Notre taille, plusieurs dizaines de mètres de hauteur, était bien utile. Nous servions à fabriquer les étraves des bateaux. Bien sûr, vous savez tous que l’étrave est l’ensemble qui forme les armatures de la coque des navires. Notre bois dense et dur, résistant aux insectes, faisait la solidité de la coque. Un de ces bateaux légendaires était le DON DE DIEU, appartenant à Samuel de Champlain. Et c’est de cet arbre que nous descendons, celui qui a servi à la construction de ce bateau.
— Comment peut-on descendre de lui s’il a été coupé?
— Laisse-moi continuer et tu vas comprendre, car à cette époque, tout était utile. Pas comme aujourd’hui où l’on jette tout et n’importe quoi. Nos fruits, les glands avaient trois utilités. On en faisait de la farine, ils pouvaient être grillés avant d’être mangés et puis certains les faisaient fermenter pour en faire une boisson pétillante appelée la piquette de glands. Les marins avaient besoin de boire et de manger tout le long de la traversée.
Après que notre ancêtre soit devenu l’étrave du Don de Dieu, ses glands et tous ceux ramassés dans la forêt de Picardie, furent embarqués dans les cales pour la subsistance des marins. Parti le 18 avril 1608 des côtes de France, il arrive à Tadoussac le 3 juin puis à Québec le 3 juillet 1608. Dans les cales, il restait suffisamment de glands pour que, lors de l’exploration du territoire, certains marins en semèrent un peu partout, comme ici dans cette forêt de l’Île d’Orléans.
Vous devez être fiers, les petits, car notre ancêtre a traversé les mers plusieurs fois et a permis l’établissement d’un peuple en Nouvelle-France. Nous sommes issus de lui et nous devons perpétrer sa force et sa résistance. Soyons forts, ne plions pas la cime et résistons aux intempéries de toute sorte.   
Dessin de Raymonde Duchesne.
Certains habitants nous respectent et nous aiment, et curieusement ils portent presque le même nom que nous… D’ailleurs, il y en a une qui nous a illustré en faisant le parallèle avec sa famille. Le cœur de l’arbre représente la mère, la feuille pour le père et les 16 étoiles symbolisent les enfants de cette belle famille, les Duchesne.
Allez les enfants, continuez de grandir, prenez des forces et de l’assurance et, plus tard, ce sera à vous de transmettre notre histoire aux nouvelles générations de chênes de Picardie. »

Aïe, je me réveille en sursaut. Je ne sais plus où je suis, mais j’ai reçu quelque chose sur la tête. Plusieurs glands sont tombés de l’arbre et m’ont atterri dessus. Je reprends mes esprits et, sourire aux lèvres je repense à mon rêve… qui n’est peut-être pas un rêve!


Un gros merci Raymonde pour ce sujet qui m’a tout de suite plu et inspirée. Je me suis amusée à faire des recherches pour inventer cette petite histoire qui pourrait être une histoire humaine.

Bonne semaine à toutes et à tous et si, vous aussi, avez une idée, n’hésitez pas.

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