Pour
conclure les ateliers d’écriture durant les croisières, j’ai choisi comme thème
le proverbe. Parmi cinq proverbes sélectionnés, le tirage a décidé :
« Les grandes douleurs sont muettes (l’extrême souffrance morale
ne fait entendre aucune plainte ».
Ouf!
Tout un proverbe. Pour toutes les personnes présentes, ce ne fut pas facile,
car cela fait ressortir beaucoup d’émotions.
Cette
semaine, trois participantes m’ont offert leur texte et je me fais une joie de
les partager.
* * *
Les grandes douleurs sont muettes
Elle était seule avec
Carpette, sa chatte d’Espagne qui allait et venait au gré de son appétit. Elle
regardait distraitement les lents mouvements de l’animal et se sentait tout à
coup réconfortée. Elle était lasse de courir, lasse et épuisée de tant de
vitesse dans sa vie, exténuée juste à penser à tout ce qui restait à faire…
Sa cuisine était sale, le
dernier repas à moitié consommé séchait sur le coin du comptoir. Les factures
s’accumulaient. Le dernier verre de vin séchait sur le coin de la tablette près
de la fenêtre.
Elle était donc fatiguée tout
à coup. De plus en plus vide de tout désir, de tout espoir, de toute lumière.
VIDE… Vide et triste. Tiens! C’était nouveau la tristesse. Elle ne l’avait pas
entendu arriver cette grosse peine et BANG, elle était là. Elle prenait toute
la place dans cette petite pièce sombre.
La tristesse, la fatigue, la
culpabilité. Elle n’avait plus les mots pour dire sa souffrance. Personne ne
savait ce qui se passait dans sa petite maison en bord de mer.
Personne ne savait puisqu’elle
restait cloîtrée ou feignait la joie. Personne n’entendait les cris de sa
souffrance. Personne… sauf peut-être la petite chatte trois couleurs qui tout
doucement la frôlait et s’installait tout près d’elle.
Elle savait, cette douce Carpette
aux couleurs du tapis, que « les
grandes douleurs sont muettes »… Elle savait et compatissait. Elle
entendait la peine trop présente dans ce lourd silence. Silence, trop lourd,
trop sombre. Silence inhabituel dans cette maison autrefois si joyeuse.
Silence…
Carole Malo
Je te vois avec ton sourire
vide. Tu évites mon regard.
J’essaie de te soutirer une
parole, te faire dire que tu souffres à l’intérieur, mais rien ne fait paraître
que tu es en détresse.
Tes grandes douleurs sont
muettes. Seule une maman peut déceler ta grande détresse.
Comment puis-je faire pour te
sortir de cet abîme qui détruit ton âme?
Tout le monde te trouve
formidable, beau, intelligent. Mais pourquoi on ne s’aperçoit pas de tes plaies
intérieures?
Si j’étais magicienne, je pointerais
ma baguette sur ton cœur afin qu’il batte au tempo du bonheur.
Je fais naître sur toi une
lumière qui te guidera et t’amènera des gens qui te sortiront de ton sortilège.
Oui, je le répète à tous ceux
qui veulent l’entendre « Les
grandes douleurs sont muettes ».
Lili
C’était le premier jour de
beau temps cette année-là.
C’était le 1er mai,
il faisait beau et chaud. Même les outardes n’avaient pas encore toutes pris
leur envol pour leur migration annuelle.
C’était le 1er mai,
il avait 13 ans et l’appel de l’extérieur lui avait ouvert grand la porte pour
aller jouer avec ses amis.
C’était le 1er mai,
il a fait une chute mortelle.
C’était le 1er mai,
mon fils est mort dans mes bras.
Ma vie venait de s’arrêter…
Je me souviens, lorsque le
médecin m’a confirmé le décès, j’ai hurlé :
« Coupez-moi un bras, une
jambe, mais sauvez-le! »
Il a pleuré avec moi et lui
aussi a pris conscience de ses limites et moi… j’avais perdu mes deux jambes,
je me suis écroulée.
Il est dit que « les grandes douleurs sont muettes ».
Les jours, les semaines, les
mois ont passé. Mes yeux sont restés secs, mes ovaires et mon utérus criaient,
hurlaient leur douleur sans que personne ne les entende. J’étais seule face à
ma douleur.
C’était le 1er mai…
À compter de cette date, il y a
eu les avants et les après…
Après, j’ai réappris à
marcher, à rire, à travailler…
Après j’ai fait le choix le
plus important et crucial de toute ma vie. J’ai choisi de « vivre avec »
cette situation. J’avais le choix de pleurer ma vie ou de la vivre. J’ai choisi
la deuxième option qui n’était pas la plus facile, mais celle qui m’a permis de
grandir, de voir la vie autrement, d’apprendre.
C’était le 1er mai…
Mais il est toujours là, il
m’accompagne partout où je vais… il est encore vivant.
Farfelue
(sur le bateau vers les Îles
de la Madeleine)
Les grandes douleurs sont muettes
Durant ma jeunesse, ma
timidité m’empêchait de m’exprimer, mais surtout de me défendre ou de prendre
ma place.
Au fil des années, je m’étais
installée « confortablement » dans cette situation. Je dis
confortablement, mais c’était plus de l’inconfort. Je pensais que j’étais née
comme cela et que je devais vivre ainsi toute ma vie.
Même si je voulais me
révolter, dire combien j’étais malheureuse, je n’osais pas. Mon silence
m’occasionnait diverses maladies bénignes, mais parfois douloureuses.
Devenue adulte, après avoir
élevé mes enfants, je me suis jurée de ne plus vivre de cette façon. J’ai
décidé de guérir mon corps, mais surtout mon psychologique, mon moral, mon
mental. J’ai décidé de prendre ma vie en main.
Ma mère disait souvent :
« Il faut se méfier de
l’eau qui dort »
J’étais cette eau dormante et
je me suis déchaînée. J’ai fait sortir mes douleurs muettes. Je les ai
exprimées. Je les ai jetées au vent afin qu’elles s’éloignent de moi le plus
loin possible.
Ouf! Quel soulagement j’ai
ressenti! Quel bien cela m’a fait!
Mes petits problèmes de santé
ont disparu. Je suis devenue une tout autre personne. Lorsque quelque chose me
blesse, aussitôt je le crie haut et fort. J’ose me plaindre lorsque cela ne va
pas, car je ne veux pas retomber dans ces douleurs muettes.
« Les grandes douleurs sont muettes »
J’aimerais sincèrement que
personne n’ait à garder ses douleurs pour lui-même, mais les exprimer et les
partager.
Dominique Damien
* * *
Voilà
qui achève 12 semaines et demie de partage, d’union avec quelques personnes qui
sont venues s’amuser avec les mots, mais surtout échanger un petit morceau de
leur vie. Chaque atelier, je découvre les joies et les douleurs de chacune et
chacun. Ce petit moment d’intimité nous ouvre le cœur et nos témoignages
scellent le lien qui s’est tissé après 20 minutes de rédaction.
Je
veux remercier sincèrement toutes les participantes et tous les participants
cette année. Comme les années précédentes, ces rencontres vont rester gravées
dans mon cœur.
Si
toutefois certains d’entre vous, chères lectrices et chers lecteurs, vous
seriez tentés de rédiger un texte sur les thèmes vus cet été, n’hésitez surtout
pas. Et si vouliez que je le partage, alors envoyez-le-moi sur mon adresse
courriel :
Bonne
semaine à toutes et à tous.
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