Début mai, la lumière du soleil pénètre plus profondément dans l’eau,
cette eau qui est encore très froide. Une certaine frénésie s’empare de mes
compatriotes. Notre hibernation est terminée, la vie reprend. Nous nous
déplaçons sur le fond rocheux de la mer.
J’ai entendu dire que nous n’étions pas seuls. D’autres colonies
peuplent les fonds de mer d’autres endroits, même d’autres pays, mais
uniquement proche des côtes nord-atlantiques. C’est rassurant, on ne se sent
pas trop seul et isolé. Ce serait bien d’aller visiter nos voisins de l’autre
côté. J’en ai déjà parlé avec les plus anciens. Ils ont ri de moi. Il paraît
que l’océan est trop profond pour que l’on puisse se promener jusqu’à la rive
de l’« aut’bord ». De toute façon, aucun n’a essayé ou n’est revenu
nous dire que c’était faisable. Moi, je ne suis pas assez téméraire pour tenter
l’expérience. Ma seule exploration est mon environnement proche. Je ne déteste
pas ça, c’est déjà assez grand.
Depuis quelques jours, j’entends des bruits différents venant de la
surface. C’est assez haut que c’en est presque imperceptible. Puis un matin, il
faisait nuit encore, une chose étrange nous est tombée pratiquement dessus. La
curiosité l’emportant, je me suis précipité voir ce que c’était. Je n’avais
encore jamais vu cela. De plus, ma nourriture préférée était à portée de pince.
J’explore à la recherche d’un passage et je me rends compte que je ne suis pas
le seul à vouloir y entrer. Enfin, j’y suis arrivé. Miam, miam, miam.
Bon, il est temps de retourner d’où je viens, je me sens à l’étroit
ici. Bon, par où suis-je entré. Nous sommes tellement nombreux que nos pattes
et nos pinces s’entremêlent. Nous finissons par nous rendre à l’évidence, il
n’y a pas de sortie. Nous avons été piégés. Je me console un peu, j’ai le
ventre plein.
Nous restons là de longues heures. D’autres sont venus nous rejoindre,
nous ne pouvions pas les prévenir. Tout à coup, notre cage se met à bouger.
Nous sommes décollés du fond de mer et nous montons jusqu’à la surface. Une
lumière aveuglante nous éblouit. Mes amis et moi sommes sortis de notre piège,
j’essaie de me débattre, de pincer mon assaillant, mais aussitôt mes pinces
sont bloquées, je ne peux plus les bouger. Je suis jeté dans une autre caisse.
Je ne sais pas ce qui va m’arriver, je finis par m’endormir.
Plus tard, nous sommes à nouveau transportés, recouverts de glace et
déplacés dans un autre endroit, sombre cette fois-ci. Un autre bruit de moteur.
Je présume qu’on se déplace encore et encore.
J’arrive enfin au bout de mon voyage. Un brouhaha m’entoure. Je suis
plongé dans l’eau. L’espace est plus petit, nous sommes trop nombreux. Suis-je
de l’autre côté de l’océan? Si c’est cela, il faut que j’arrive à prévenir les
autres. Nous sommes bien mieux dans notre endroit d’origine.
C’est la fin de mon périple. Maintenant, je sais que je vais finir dans
une assiette. J’entends un humain crier :
— Un homard des Îles-de-la-Madeleine, table 3.
Je suis fier, car je suis très recherché. Les gens se déplacent de loin
pour me déguster. Je suis même la vedette de plusieurs émissions de télévision.
Je suis pris en photo par beaucoup de monde. Bref, je suis une vedette.
Bonne saison de pêche à tous les pêcheurs de homards.
Bonne semaine à toutes et à tous.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire