La tête dans les vagues

Assise à ma table, face à la mer, où le vent souffle les embruns suivant le courant, je trouve l'inspiration qui me permet, au fil des mots, de vous partager mes passions.

dimanche 7 décembre 2014

La sentinelle d’ABIGUIGUI.


Je suis active et je m’allume dès la nuit tombée. Je suis la sentinelle d’ABIGUIGUI. Je trône fièrement presque en haut de l’étai. Pour ceux qui ne connaissent pas, l’étai est le hauban tendu entre la tête d’un mât et l’avant du bateau, et moi, la sentinelle, je suis la lumière annonçant que le bateau se trouve à l’ancre. Je suis un peu comme un phare. C’est ma façon d’avertir les autres bateaux qu’un navire est ancré.

Là où je me trouve, j’illumine les alentours. Au loin, certains sont intrigués par mes rayons et avancent au ralenti jusqu’à apercevoir la coque de mon bateau. Inévitablement, presque chaque nuit un goéland se pose en haut du mât. Veut-il être plus haut que moi, me dominer? Je pense que oui, car aussitôt que je m’allume, je le vois tournoyer autour de moi et se poser. La première fois que je l’ai aperçu, il s’est approché en se laissant porter par les courants d’air montants ou descendants. Puis il s’est posé sur le pont faisant mine de ne pas me voir. Je sentais son impatience et sa curiosité. Enfin, il demanda :
- Que fais-tu allumé la nuit? Ne dos-tu jamais?
- Grand dieu, non, je ne dois pas dormir. C’est la nuit que je travaille. Je suis en charge de protéger mon bateau. Et toi, tu ne dors pas non plus?
- Oh, moi j’aime voler la nuit. Les paysages sont très différents et c’est beaucoup plus calme.
- Tu as bien raison. Bon, laisse-moi travailler, ne me distrais pas.
- Qu’as-tu bien à faire d’autre que de rester allumée? Tout un travail!
- Peut-être, mais je dois le faire avec sérieux. Il en est de la survie de mon navire. Si je dépensais toute mon énergie à parler avec tous ceux qui tournent autour, je finirais par m’éteindre et risquer qu’on se fasse éperonner.
- Oh là! Ne te fâche pas, je te laisse.

Et il s’envola. C’est à partir du lendemain qu’il revint chaque nuit, qu’il se posa en haut du mât sans un mot revenant inlassablement nuit après nuit. J’avoue sincèrement que j’aime assez cela. Même si nous ne parlons pas, je ne me sens pas complètement seule.

Il arrive aussi parfois qu’un autre bateau s’ancre à côté et nous voilà deux sentinelles à veiller. S’il s’agit d’un voilier comme le mien, nous nous respectons. Par contre, il est arrivé qu’un gros bateau s’installe pour la nuit à côté de moi et voilà sa sentinelle qui se met à se vanter de tous les équipements de son « cruiser », de ce qu’ils sont capables de faire, de la vitesse folle qu’ils atteignent quelques fois. J’en ai honte pour ma profession. Ce n’est rien qu’une lumière accrochée à la proue. Moi je la laisse faire et parler et se pavaner, elle dépense son énergie inutilement et moi je ne l’écoute pas. Je prends soin de mon voilier et c’est tout ce qui m’importe.

Dès que le soleil se lève, aussitôt éteinte, je suis décrochée, laissant la place au foc, la petite voile en avant. Je me repose pour la journée en attendant de découvrir d’autres endroits à éclairer et aussi dans l’espoir de voir arriver mon ami le goéland. J’aime ce travail de sentinelle, j’en suis fière, c’est le plus beau métier du monde marin.

Bonne semaine à toutes et à tous.

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