La tête dans les vagues

Assise à ma table, face à la mer, où le vent souffle les embruns suivant le courant, je trouve l'inspiration qui me permet, au fil des mots, de vous partager mes passions.

dimanche 4 octobre 2015

Un rêve qui ne finit pas.

Le soir après mon atelier d’écriture du 5 août dernier, une femme s’excuse auprès de moi de ne pas y avoir assisté, mais me dit qu’elle avait écrit une petite nouvelle pour un concours. Son texte parlant des Îles de la Madeleine, elle me le donnait et m’autorisait à vous le partager.

* * *

Un rêve qui ne finit pas.

Ce soir, on reçoit à souper tante Pauline, tout juste de retour de vacances dans l’Est-du-Québec. Elle raconte avec enthousiasme les péripéties de son voyage. François, âgé de cinq ans, écoute avec attention tout en imaginant ces sites enchanteurs.

L’endroit appelé Madeleine l’amène à rêver. Il se voit dans un village où toutes les maisons regardent la mer. Les gens sont charmants et sympathiques. Sur le quai, des pêcheurs lui offrent de monter à bord de leur bateau pour aller prendre de la morue. C’est la mer à perte de vue. Et il attrape des poissons « gros comme ça »! L’heureuse excursion se poursuit jusque dans son dodo.

Quelques années plus tard, lors d’une leçon de géographie, l’institutrice explique ce qu’est un archipel : un groupe d’îles. Elle montre des photos d’une formation ressemblant à un hameçon situé en plein milieu du golfe Saint-Laurent. « Ce sont douze îles d’une grande beauté dont six sont reliées entre elles par un cordon de sable. On les appelle les Îles de la Madeleine. Ses habitants ont les caractéristiques des insulaires : simplicité, accueil, débrouillardise », dit-elle.

Au nom de Madeleine, d’un bond merveilleux dans sa tête, François se retrouve dans les histoires de tante Pauline. Aussitôt bouillonnent les images déjà inventées.


Des illustrations font voir de coquettes maisons de toutes les couleurs éparpillées sur les buttes et les vallons d’un vert luxuriant. Des falaises de grès rouge côtoient des dunes de sable blond, aussi longues à traverser que le désert. De partout, on voit l’horizon, on se croit au bout du monde.

Tous les enfants de la classe retiennent bien sûr les plaisirs que la plage peut offrir : baignade, cueillette de magnifiques coquillages, pêche aux coques, création de châteaux de sable et chevauchées en galopant sur la grève ou en clapotant dans les vagues qui viennent s’échouer. Les grottes creusées par l’érosion sont pour eux des endroits étranges, mystérieux, mais attirants à explorer.


Cette leçon intéresse tellement les élèves qu’il n’en faut pas plus pour, qu’à douze ans, un projet de classe les conduise à une colonie de vacances en ce lieu magique.

François sent qu’il a une longueur d’avance sur ses compagnons puisque, depuis longtemps déjà, son cœur s’est habillé d’amour pour ce petit « pays » exotique. Mais deux jours avant le départ, catastrophe! Pour lui, le voyage prend fin abruptement lorsqu’une appendicite aiguë fait soudainement irruption. Quelle déception!

Il s’était si bien préparé pourtant! Il avait appris que les Îles s’étendent sur cent kilomètres de longueur et sont séparées de l’Île-du-Prince-Édouard d’environ une distance équivalente. Les Madelinots, majoritairement acadiens, ont conservé leur langage et leurs coutumes et cultivent le sens de l’hospitalité.

Il connaît les noms évocateurs et pittoresques tels que : Baie de Plaisance, baie d’En-Dedans, Havre-aux-Maisons, butte des Demoiselles et peut identifier des cantons comme l’Anse aux Baleiniers, Belle Anse, Cap-Vert. Il sait aussi que le sommet de la butte du Vent offre un panorama aussi vaste qu’un survol d’oiseau, l’archipel entier s’étendant au pied.

Ce n’est toutefois que pendant ses études universitaires que le rêve de François se concrétise. Dans le cadre d’un travail de recherche anthropologique, il y passe une année entière où il réalise une expérience professionnelle et une expérience de vie extraordinaires. Dès son arrivée, il est fasciné par ce coin de terre acadienne et, surtout, par sa population si attachante et hospitalière. L’accueil fut tel que les Madelinots, en particulier ceux du Havre-Aubert, ont accepté de le considérer comme un des leurs, de lui laisser partager leur quotidien et de lui révéler en quelque sorte leur univers.

L’aspect physique des Îles provoque aussi chez lui l’envoûtement et un dépaysement complet. Il remarque les vertes collines dont la douceur des reliefs contraste avec les escarpements tourmentés. Il est séduit par la luminosité du paysage, l’harmonie des couleurs et la fraîcheur des lieux. L’absence de forêt le surprend ; des bosquets de conifères rabougris ressemblent à des grains de beauté sur le visage arrondi des buttes. Les rivages sablonneux où piaillent des colonies d’oiseaux marins s’étirent à l’infini. Au bout du regard, la mer finit toujours par rejoindre le ciel.

À la tombée du jour, alors que, vers le large, le soleil trace un pont d’or sur la mer, François constate l’actualité de ces mots écrits depuis longtemps : « Dans les havres, dorment d’un sommeil bercé, les bateaux de pêche dont chaque mât dessine sur l’eau calme un trait tremblant. »(1)

En plus de son travail de recherche, ce passage aux Îles permet à ce Madelinot d’adoption de côtoyer pêcheurs, artistes et artisans, de former une chorale, de s’adonner à la photographie et d’apprivoiser ce paradis de la planche à voile et du kayak de mer.

Dans ce contexte d’air salin et de douce tranquillité, il prend le rythme de vie des insulaires et s’approprie le dicton : « Ici, on n’a pas l’heure, on a le temps. »

Au terme de son séjour, François publie : « Vie d’insulaires, les Madelinots »
Ce livre est dédié à tante Pauline qui a allumé chez lui l’étincelle de son rêve. Lorsqu’il lui rend visite pour le lui offrir, celle-ci est étonnée d’une telle attention puisqu’elle n’est jamais allée aux Îles de la Madeleine.

« C’est lorsque vous avez fait le tour de la Gaspésie, alors que j’étais enfant, que le récit d’une partie de pêche dans le village de Petite Madeleine a semé dans mon esprit le coup d’envoi à cette merveilleuse aventure. Cette appellation s’imprimera davantage dans mon oreille parce que depuis quelques jours, une toute petite fille du même nom était arrivée chez nous et je l’aimais beaucoup. C’était ma sœur ».

Mais le rêve ne finit pas là! Il atteint son apogée lorsque François voit débuter la construction de sa propre maison au pied « des Demoiselles ».

La Merquidanse
Jeannine Bourque

(1) Croquis Laurentiens, Frère Marie-Victorin, 1920. Éditions : Fides 1982



Merci beaucoup Jeannine pour cette belle histoire, ce rêve qui devient réalité pour plusieurs qui ont la chance de visiter les Îles.


Bonne semaine à toutes et à tous.

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