En cette période des Jeux olympiques, nous
assistons chaque jour aux exploits des athlètes, aux joies de certains, mais
aussi aux déceptions d’autres. Ils ont tous travaillé très fort pour arriver là
où ils sont et, peu importe leur résultat ou leur place, podium ou pas, ils
sont en quelque sorte vainqueurs. On ne saurait trop les féliciter pour ce
qu’ils accomplissent dans l’esprit des Olympiques tel que Pierre de Coubertin
le désirait. Un gros merci à vous tous qui nous faites vivre de si bons moments
d’excitation, de joie et d’admiration.
Robert ne se bat pas pour la médaille d’or.
Il ne connaît pas sa récompense tout comme les trois autres compétiteurs encore
en liste. Il ne veut pas y penser. Quelle que soit cette récompense, rien ne
pourra effacer ces durs moments qu’il a vécus. Rien n’est encore gagné. Il fait
face à trois personnes qui elles aussi veulent la récompense suprême.
Seulement, dans un tel état d’esprit, c’est
dur de rester concentré, de penser qu’aux définitions et rester maître de ses
touches de clavier.
Voici la finale de ce concours. Je
renouvelle l’avertissement donné la semaine dernière.
Le
texte qui suit contient des scènes pouvant ne pas convenir à un jeune public.
La supervision des parents est suggérée.
Chapitre 5
Jour
3
Aucun
des quatre derniers concurrents n’a dormi. L’appétit les a également abandonnés.
Les quatre visages reflètent une fatigue et un stress de plus en plus
grandissant. Pour au moins trois d’entre eux, ils vivent leurs dernières
heures. Ils essaient de se motiver, mais l’atrocité qui a fait leur quotidien
ces deux derniers jours a atteint leur confiance.
9 h 30
La
grille est maintenant de quarante lignes et de trente colonnes ainsi qu’un
niveau de difficulté supérieur. Le temps est désormais de deux heures trente.
Personne ne se regarde. Les six tables vides augmentent la pesanteur qui règne
dans la pièce.
10 h 40
Marco
Sanchez tape de toutes ses forces sur le clavier devant lui.
—
Espèce de salaud, montre-toi, éructe-t-il. Mon mot aussi peut marcher. Allez,
viens me faire face si tu as des couilles. Tu n’es qu’un lâche.
Sa
chaise a atteint le mur et des grilles l’encadrent formant ainsi une cage. Par
la porte, sortent trois chiens. Trois pit-bulls grognant, montrant des crocs
pointus et laissant couler la bave. Ils se postent devant Marco qui s’est tu en
voyant venir ses tortionnaires. Aussitôt qu’un des chiens se jette sur lui, les
deux autres l’imitent. Ils l’attaquent directement au visage, lui arrachant des
morceaux de chair. Puis ses bras, ses jambes sont dévorés. Un chien s’en est
pris à son ventre. Une plaie béante rouge laisse sortir ses intestins qui se
déroulent au sol dans un gargouillis audible malgré les grognements des chiens.
Lorsque la mort de Marco est évidente, les chiens lâchent leur proie et
retournent d’où ils viennent. Pour les candidats restants, une monstruosité
prend la place d’une autre. Le niveau de cruauté maximum a été atteint.
12 h
La
sonnerie finale retentit. Seules deux grilles sont complétées. Victorio Gaudio
avait abandonné la partie depuis un moment. Son cerveau n’était plus capable de
raisonner. Il l’avait saisi assez vite. Sa vue s’était brouillée. Il ne comprenait
même pas ce qu’il lisait. Il avait été étonné de voir Marco mourir avant lui.
Il était sûr d’être le prochain. Il avait déjà accepté sa mort avant que son
supplice ne vienne.
Sa
chaise recule. Il est aspergé d’un liquide qui s’enflamme aussitôt. Victorio
devient une torche humaine. L’odeur est insoutenable et la chaleur n’arrive pas
à atténuer les frissons de peur que ressentent les deux derniers concurrents.
Le
feu éteint, le corps de Victorio ressemble à un morceau de bois brûlé faisant
ressortir ses dents blanches dans un rictus de douleur.
Devant
leurs assiettes, Ruth et Robert ne bougent pas. Leurs estomacs n’acceptent
aucune nourriture. De toute façon, à quoi bon? Ils ne s’en sortiront peut-être
pas ni l’un ni l’autre.
14 h 30
Machinalement,
ils se rendent à la « salle des tortures » comme un condamné se rend
à son gibet de potence.
—
Madame, Monsieur, vous êtes les deux derniers. Je suis impressionné par votre
performance. Comme je vous l’ai dit au commencement, il ne doit y avoir qu’un
seul gagnant. Cette fois, celui qui complétera la grille le premier, sans
aucune erreur bien entendu, sera déclaré vainqueur. Il recevra la récompense
ultime promise. Je lui laisserais la vie sauve. Bonne chance et merci pour ces
trois jours que vous m’avez fait vivre. Ce fut une expérience inoubliable.
Les
deux écrans s’allument. Robert parcourt la pièce de ses yeux. Personne ne peut
imaginer toute l’horreur qui s’est déroulée ici ces trois derniers jours. S’il
gagne, personne ne le croira. Il n’a aucun moyen de prouver quoi que ce soit.
Il se ressaisit. Son seul but est de terminer le premier, de rentrer chez lui
et de reprendre une vie normale. Comme si on pouvait avoir une vie normale
après avoir vécu ça.
Il
a devant lui la même grille. Avant de lire les définitions, il jette un regard
à Ruth. Elle semble nerveuse et prend de grandes respirations pour se calmer.
Robert
tape ses lettres les unes après les autres. Les cases blanches se noircissent.
15 h
Environ
un tiers des définitions sont trouvées. D’après ce qu’il a pu juger, Ruth doit
en être au même niveau que lui. Tout va se jouer sur quelques minutes.
15 h 30
Voilà
une heure qu’ils ont commencé. Ruth prend une profonde respiration. Robert la
sent reprendre confiance. Ses doigts tapent tranquillement sur le clavier. Il
se demande si elle ne serait pas en avance sur lui. Il faut qu’il se reprenne
et oublier Ruth à côté. Seule sa grille doit retenir son attention.
15 h 45
Il
ne lui reste que quelques cases blanches. Plus que quatre définitions et il
sera déclaré vainqueur. Trois définitions… Il le sent, il va y arriver. Encore
une de trouver… Bon, respire un grand coup, concentre-toi. Tu as quelques
lettres d’inscrites. Fais le vide… OK, je l’ai! Attention, ne fais pas
d’erreur.
Robert
regarde ses doigts taper les bonnes lettres. Il appuie son index sur le R. Ce R
qui va lui donner la vie, qui va le faire sortir de cet enfer. Une petite
pression sur le doigt… Ça y est, il a terminé. Son écran clignote. Un message
de félicitations. L’écran de Ruth se fige. Il ne lui restait qu’un seul mot à
trouver et elle s’en sortait. Elle hurle un NOONN qui déchire le calme de la
salle. Malgré tout, elle accepte son sort. Robert la regarde et lui
prononce un « Je suis désolé » du bout des lèvres.
La
chaise de Ruth recule, son dossier se détache et tombe à terre. Une paroi du
mur s’ouvre et une herse prend sa place. Ruth est lancée à toute vitesse sur la
herse qui vient transpercer son corps du bassin jusqu’au sommet de sa tête. Un
pic lui traverse l’œil gauche. Un autre ressort par sa gorge. Sa chemise
blanche n’est plus qu’une mare rouge. Sa mort est instantanée, mais très
impressionnante. Epuisé, Robert n’a plus la force de bouger. Il reste là, les
yeux fixés sur le corps de Ruth.
Le
bruit de la porte qui s’ouvre ramène Robert à la réalité. Il est sans énergie,
il a de la peine à se lever de sa chaise.
L’homme
qui était venu le chercher à sa descente d’avion trois jours plus tôt, l’attend
au bout du corridor. Il tient la valise de Robert ainsi que son billet de
retour.
Sans
prononcer un seul mot, Robert est en route pour l’aéroport. Il a hâte de se
retrouver chez lui de reprendre sa vie qui ne sera plus ordinaire. Une chose
est sûre. Plus jamais de sa vie il ne remplira de cases blanches et ne fera de
concours de mots croisés. Il ne veut même plus entendre prononcer ces deux
mots.
Ce texte fut le seul que j’ai écrit dans ce
style. Lors de son écriture, j’ai compris que j’étais capable d’écrire autre
chose que du policier. Par contre, je n’ai pas récidivé et j’ai préféré
continuer dans le style que je maîtrise le plus et pour lequel je prends
beaucoup de plaisir.
Il y a quelques semaines, je vous ai parlé
d’Arabella. Et bien, c’est l’héroïne de mon prochain livre, un livre pour
enfant. Voici un autre registre que j’ai visité et celui-là m’a apporté
beaucoup de joie à l’écrire et ne devrait pas être unique.
J’espère ne pas vous avoir trop fait peur,
car rien n’est réel dans ce texte, ce n’est qu’une fiction.
Bonne semaine à toutes et à tous.
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