La tête dans les vagues

Assise à ma table, face à la mer, où le vent souffle les embruns suivant le courant, je trouve l'inspiration qui me permet, au fil des mots, de vous partager mes passions.

dimanche 16 février 2014

Grande finale chez le Comte Talbot.

En cette période des Jeux olympiques, nous assistons chaque jour aux exploits des athlètes, aux joies de certains, mais aussi aux déceptions d’autres. Ils ont tous travaillé très fort pour arriver là où ils sont et, peu importe leur résultat ou leur place, podium ou pas, ils sont en quelque sorte vainqueurs. On ne saurait trop les féliciter pour ce qu’ils accomplissent dans l’esprit des Olympiques tel que Pierre de Coubertin le désirait. Un gros merci à vous tous qui nous faites vivre de si bons moments d’excitation, de joie et d’admiration.

Robert ne se bat pas pour la médaille d’or. Il ne connaît pas sa récompense tout comme les trois autres compétiteurs encore en liste. Il ne veut pas y penser. Quelle que soit cette récompense, rien ne pourra effacer ces durs moments qu’il a vécus. Rien n’est encore gagné. Il fait face à trois personnes qui elles aussi veulent la récompense suprême.
Seulement, dans un tel état d’esprit, c’est dur de rester concentré, de penser qu’aux définitions et rester maître de ses touches de clavier.

Voici la finale de ce concours. Je renouvelle l’avertissement donné la semaine dernière.

Le texte qui suit contient des scènes pouvant ne pas convenir à un jeune public. La supervision des parents est suggérée.


Chapitre 5

Jour 3

Aucun des quatre derniers concurrents n’a dormi. L’appétit les a également abandonnés. Les quatre visages reflètent une fatigue et un stress de plus en plus grandissant. Pour au moins trois d’entre eux, ils vivent leurs dernières heures. Ils essaient de se motiver, mais l’atrocité qui a fait leur quotidien ces deux derniers jours a atteint leur confiance.

9 h 30

La grille est maintenant de quarante lignes et de trente colonnes ainsi qu’un niveau de difficulté supérieur. Le temps est désormais de deux heures trente. Personne ne se regarde. Les six tables vides augmentent la pesanteur qui règne dans la pièce.



10 h 40

Marco Sanchez tape de toutes ses forces sur le clavier devant lui.
— Espèce de salaud, montre-toi, éructe-t-il. Mon mot aussi peut marcher. Allez, viens me faire face si tu as des couilles. Tu n’es qu’un lâche.

Sa chaise a atteint le mur et des grilles l’encadrent formant ainsi une cage. Par la porte, sortent trois chiens. Trois pit-bulls grognant, montrant des crocs pointus et laissant couler la bave. Ils se postent devant Marco qui s’est tu en voyant venir ses tortionnaires. Aussitôt qu’un des chiens se jette sur lui, les deux autres l’imitent. Ils l’attaquent directement au visage, lui arrachant des morceaux de chair. Puis ses bras, ses jambes sont dévorés. Un chien s’en est pris à son ventre. Une plaie béante rouge laisse sortir ses intestins qui se déroulent au sol dans un gargouillis audible malgré les grognements des chiens. Lorsque la mort de Marco est évidente, les chiens lâchent leur proie et retournent d’où ils viennent. Pour les candidats restants, une monstruosité prend la place d’une autre. Le niveau de cruauté maximum a été atteint.

12 h

La sonnerie finale retentit. Seules deux grilles sont complétées. Victorio Gaudio avait abandonné la partie depuis un moment. Son cerveau n’était plus capable de raisonner. Il l’avait saisi assez vite. Sa vue s’était brouillée. Il ne comprenait même pas ce qu’il lisait. Il avait été étonné de voir Marco mourir avant lui. Il était sûr d’être le prochain. Il avait déjà accepté sa mort avant que son supplice ne vienne.
           
Sa chaise recule. Il est aspergé d’un liquide qui s’enflamme aussitôt. Victorio devient une torche humaine. L’odeur est insoutenable et la chaleur n’arrive pas à atténuer les frissons de peur que ressentent les deux derniers concurrents.
Le feu éteint, le corps de Victorio ressemble à un morceau de bois brûlé faisant ressortir ses dents blanches dans un rictus de douleur.

Devant leurs assiettes, Ruth et Robert ne bougent pas. Leurs estomacs n’acceptent aucune nourriture. De toute façon, à quoi bon? Ils ne s’en sortiront peut-être pas ni l’un ni l’autre.
           
14 h 30

Machinalement, ils se rendent à la « salle des tortures » comme un condamné se rend à son gibet de potence.
           
— Madame, Monsieur, vous êtes les deux derniers. Je suis impressionné par votre performance. Comme je vous l’ai dit au commencement, il ne doit y avoir qu’un seul gagnant. Cette fois, celui qui complétera la grille le premier, sans aucune erreur bien entendu, sera déclaré vainqueur. Il recevra la récompense ultime promise. Je lui laisserais la vie sauve. Bonne chance et merci pour ces trois jours que vous m’avez fait vivre. Ce fut une expérience inoubliable.

Les deux écrans s’allument. Robert parcourt la pièce de ses yeux. Personne ne peut imaginer toute l’horreur qui s’est déroulée ici ces trois derniers jours. S’il gagne, personne ne le croira. Il n’a aucun moyen de prouver quoi que ce soit. Il se ressaisit. Son seul but est de terminer le premier, de rentrer chez lui et de reprendre une vie normale. Comme si on pouvait avoir une vie normale après avoir vécu ça.
Il a devant lui la même grille. Avant de lire les définitions, il jette un regard à Ruth. Elle semble nerveuse et prend de grandes respirations pour se calmer.      
Robert tape ses lettres les unes après les autres. Les cases blanches se noircissent.

15 h

Environ un tiers des définitions sont trouvées. D’après ce qu’il a pu juger, Ruth doit en être au même niveau que lui. Tout va se jouer sur quelques minutes.

15 h 30

Voilà une heure qu’ils ont commencé. Ruth prend une profonde respiration. Robert la sent reprendre confiance. Ses doigts tapent tranquillement sur le clavier. Il se demande si elle ne serait pas en avance sur lui. Il faut qu’il se reprenne et oublier Ruth à côté. Seule sa grille doit retenir son attention.

15 h 45

Il ne lui reste que quelques cases blanches. Plus que quatre définitions et il sera déclaré vainqueur. Trois définitions… Il le sent, il va y arriver. Encore une de trouver… Bon, respire un grand coup, concentre-toi. Tu as quelques lettres d’inscrites. Fais le vide… OK, je l’ai! Attention, ne fais pas d’erreur.

Robert regarde ses doigts taper les bonnes lettres. Il appuie son index sur le R. Ce R qui va lui donner la vie, qui va le faire sortir de cet enfer. Une petite pression sur le doigt… Ça y est, il a terminé. Son écran clignote. Un message de félicitations. L’écran de Ruth se fige. Il ne lui restait qu’un seul mot à trouver et elle s’en sortait. Elle hurle un NOONN qui déchire le calme de la salle. Malgré tout, elle accepte son sort. Robert la regarde et lui prononce un « Je suis désolé » du bout des lèvres.

La chaise de Ruth recule, son dossier se détache et tombe à terre. Une paroi du mur s’ouvre et une herse prend sa place. Ruth est lancée à toute vitesse sur la herse qui vient transpercer son corps du bassin jusqu’au sommet de sa tête. Un pic lui traverse l’œil gauche. Un autre ressort par sa gorge. Sa chemise blanche n’est plus qu’une mare rouge. Sa mort est instantanée, mais très impressionnante. Epuisé, Robert n’a plus la force de bouger. Il reste là, les yeux fixés sur le corps de Ruth.

Le bruit de la porte qui s’ouvre ramène Robert à la réalité. Il est sans énergie, il a de la peine à se lever de sa chaise. 



L’homme qui était venu le chercher à sa descente d’avion trois jours plus tôt, l’attend au bout du corridor. Il tient la valise de Robert ainsi que son billet de retour.

Sans prononcer un seul mot, Robert est en route pour l’aéroport. Il a hâte de se retrouver chez lui de reprendre sa vie qui ne sera plus ordinaire. Une chose est sûre. Plus jamais de sa vie il ne remplira de cases blanches et ne fera de concours de mots croisés. Il ne veut même plus entendre prononcer ces deux mots.

  
Ce texte fut le seul que j’ai écrit dans ce style. Lors de son écriture, j’ai compris que j’étais capable d’écrire autre chose que du policier. Par contre, je n’ai pas récidivé et j’ai préféré continuer dans le style que je maîtrise le plus et pour lequel je prends beaucoup de plaisir.

Il y a quelques semaines, je vous ai parlé d’Arabella. Et bien, c’est l’héroïne de mon prochain livre, un livre pour enfant. Voici un autre registre que j’ai visité et celui-là m’a apporté beaucoup de joie à l’écrire et ne devrait pas être unique.

J’espère ne pas vous avoir trop fait peur, car rien n’est réel dans ce texte, ce n’est qu’une fiction.


Bonne semaine à toutes et à tous.

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