La tête dans les vagues

Assise à ma table, face à la mer, où le vent souffle les embruns suivant le courant, je trouve l'inspiration qui me permet, au fil des mots, de vous partager mes passions.

dimanche 16 mars 2014

Martin, fils du capitaine.

Je m’appelle Martin. Lorsque j’avais 12 ans, j’étais fier de mon père Jack. En effet, il était capitaine d’une caravelle voguant vers le Nouveau Monde à la découverte de terres inconnues.

Alors que père était à la roue, je rêvais du jour où moi aussi je serais maître à bord lancé vers de grandes aventures.

Un des matelots, nommé l’homme de vigie, était posté dans le nid-de-pie, un « panier » servant de poste d’observation situé au sommet d’un mât. Tout à coup, je l’entendis hurler :

- TERRE! TERRE! DROIT DEVANT.

Mon père Jack prit aussitôt sa longue-vue et confirma à tout l’équipage l’approche vers une terre encore non répertoriée. Le second se mit à la barre alors que père descendait dans sa cabine afin d’inscrire toutes les coordonnées de notre position sur une carte. Intrigué, je le suivis et observais tous ses faits et gestes.

Moins de deux heures plus tard, une chaloupe fut mise à l’eau où père, quelques matelots et moi prenions place en direction de cette terre. Nous découvrîmes alors un lieu désert, de la végétation inconnue, des arbres immenses, des fleurs étranges comme je n’en avais jamais vues. Toute cette végétation dégageait un parfum agréable.

- Qu’en dis-tu? me demanda Jack.
- C’est beau père. J’aimerais bien en voir plus.
- Tu as raison. Allons plus loin voir ce que l’on peut trouver et peut-être rencontrer des indigènes.

Nous avancions à l’intérieur des terres sans jamais rencontrer quoi que ce soit d’effrayant ni aucun être vivant. Le soleil commençait à descendre vers l’horizon et nous devions retourner sur le bateau. Dans la chaloupe, mon père me regarda et dit :

- Martin, que dirais-tu si nous venions nous installer ici toute la famille?
- Ce serait merveilleux, lui répondis-je. Nous pourrions construire notre maison et découvrir tout le reste de l’île.
- D’accord. Rentrons chez nous en Espagne chercher ta mère et tes sœurs et nous reviendrons.
- Merci père. Nous allons avoir une vie extraordinaire ici. J’aime déjà cet endroit.

Le voyage du retour nous prit pratiquement trois mois et, aussitôt débarqué, je courus raconter notre découverte à ma mère et mes deux sœurs. J’étais le garçon le plus heureux de la terre. Dès le lendemain, je questionnais mon père sur la date de notre prochain voyage vers cette île, au-delà des flots, qui serait bientôt notre nouvel eldorado.

- Martin, mon fils, tu sais les femmes ne sont pas aussi aventurières que nous les navigateurs. J’ai parlé longuement avec ta mère hier soir, je lui ai raconté toutes les beautés que nous avons vues. Malheureusement, elle ne se sent pas encore prête à voyager surtout avec tes sœurs qui sont plus jeunes. Elle me demande d’amasser plus d’argent, le temps que les filles grandissent et peut-être nous partirons nous installer là-bas.

J’écoutais mon père et la déception m’envahissait. J’étais très en colère contre lui, car il n’avait pas su parler à ma mère et n’avait pas tout fait pour la convaincre.

- Mais père, vous m’aviez promis. Moi, je ne veux plus rester ici, je veux vivre là-bas. Je vous déteste vous et mère.
- Martin, ne dis pas de telles choses. Ce n’est qu’une question de temps.
- Je ne vous crois pas. Vous ne repartirez pas. D’ailleurs, mère n’a jamais aimé que vous naviguiez. Mais moi je vais y aller et j’irai avec mon bateau à moi.

Je me mis à courir droit devant moi, les yeux remplis de larmes. Mon père m’avait trahi et je ne lui pardonnerai jamais. Je me fis la promesse de travailler fort, d’avoir assez d’argent pour m’acheter mon propre bateau et, avec mon équipage, je retournerai vivre dans cette île inconnue.

Durant plusieurs années, je naviguais sur différents bateaux de commerce. Je mettais toute ma solde dans un coffre bien caché. Je vivais encore avec mes parents, mais seulement parce qu’il me fallait un toit. Mon père prenait de l’âge et son ambition de voyage diminuait d’année en année.

Alors que j’allais fêter mes 25 ans, j’avais amassé assez d’argent pour acheter une caravelle qu’un vieux capitaine vendait, n’ayant aucun fils à qui passer le flambeau. Secrètement, je fis la transaction et, les papiers en poche, je me présentais devant mon père et avec fierté je lui dis :

- Père, cela m’a pris plusieurs années, j’ai travaillé très fort, mais comme je vous l’avais prédit, désormais j’ai mon propre bateau et j’ai l’intention de partir à la découverte de cet autre monde au bout de l’horizon.

Je lui montrais les papiers signés attendant son approbation et ses félicitations. Il les lut et, d’un regard triste, me dit :

- Martin, qu’as-tu fait? Ce bateau n’est pas fait pour naviguer aussi loin. Il est vieux et a besoin de beaucoup de réparation. Tu aurais dû m’en parler avant de l’acheter, je t’aurais conseillé.
- Non, vous auriez tout fait pour me décourager. Je vais m’arranger pour le mettre prêt à partir et avec son équipage je prendrai la mer.

Sans attendre sa réponse, je ramassais mes papiers. Je me dirigeais vers le port et montais à bord de ma caravelle. J’avais l’intention de m’y installer pour de bon. Avec l’argent qu’il me restait, je fis faire les réparations nécessaires, embauchais mon équipage, assez restreint vu mon manque de moyen.

Il était temps pour moi de partir. J’allais embrasser mes parents et mes sœurs. Mon père, inquiet, essayait de me mettre en garde, que ce n’était pas la bonne saison pour partir. Il me demandait de patienter encore quelques mois et de mettre toutes les chances de mon côté. Je ne l’écoutais pas. Je pensais qu’il faisait tout pour me faire changer d’avis. Sa trahison était encore très présente et je n’avais pas l’intention de reporter mon départ. Même si je savais qu’il était un très bon navigateur, je tenais à mon rêve plus que tout et le moment était venu pour le réaliser.

Le lendemain matin, à l’aube, je larguais les amarres, saluant les quelques personnes présentes sur le quai, dont ma famille. Avec un petit serrement au cœur, je leur fis un salut et me mis à la barre.




Après deux semaines de navigation sous le soleil, sans aucun problème, je suivais la route inscrite par mon père sur sa carte qu’il avait mise dans mes bagages. Soudain, au loin je vis un gros nuage noir se rapprocher dangereusement. J’étais prêt à tout affronter, je me sentais invincible. Le vent commença à souffler, une forte pluie s’abattit sur nous. Nous étions dans le noir complet. Petit à petit, les vagues grossissaient. Ma caravelle avait du mal à garder son cap. Mes hommes faisaient tout ce qu’ils pouvaient, mais le mauvais temps empirait, la mer se déchaînait de plus en plus. Il a suffi d’une vague beaucoup plus grosse pour nous faire chavirer, jetant tout mon équipage à l’eau. Je me cramponnais à la barre autant que je pus, puis, à bout de force, je lâchais tout. Je fus emmené dans les profondeurs de l’océan, sereinement. Je pensais alors à ma famille et avant de perdre conscience je dis :


- Excusez-moi père, j’aurais dû vous écouter. Je ne regrette rien, je meurs comme je le désirais, à la barre de mon bateau…

Aucun commentaire:

Publier un commentaire